Un soir de printemps après 2 heures de foot en salle suivi d’une mitraillette (non ce n’est pas une arme) sauce Samourai qui a failli m’achever, je décide de me détendre un peu devant la télé. La regardant rarement, je n’ai qu’un mince espoir de trouver un programme qui pourrait me distraire ou m’inspirer. Mais comme les choses sont bien faites, je tombe sur l’émission « mariés au premier regard ».
Plantons le décor
Pour ceux qui ne captent plus aucune chaîne depuis le siècle dernier, je vais brièvement vous expliquer le merveilleux concept de ce programme. Sur base d’analyses scientifiques élaborées par des spécialistes (docteur en psychologie, psychothérapeute et sexologue), on établit un taux de compatibilité entre un homme et une femme. Plusieurs duos présentant un fort taux seront sélectionnés et les deux protagonistes se rencontreront pour la première fois le jour de leur mariage.
Cet article n’est pas destiné à vous présenter mon analyse de l’émission. Étant déjà une personne peu encline à se marier au 12000e regard, vous pouvez vous douter que me mettre dans une mairie face à une femme que je n’ai jamais vue auparavant, aurait de quoi faire vaciller mon coeur, cloîtrer ma mâchoire, tout en me coinçant la gorge (l’image ne doit pas être terrible).
Bon, il parlera de quoi l’article alors ?
En fait, une phrase au début de l’émission a directement (pour une fois) fait tilt dans ma tête. Après que les deux mariés se soient dit oui, la jeune femme s’exclame en voix off: « Tout est parfait » suivi de: « il me manquait plus que l’amour ». Rien d’étonnant jusque-là, vu que l’humain est conditionné à combler ses manques.
Or, ce qui me chipote, c’est de savoir ce qu’il se passe une fois qu’on a rempli toutes les cases. Donc, imaginons, nous avons 30 ans, financièrement indépendant, déjà propriétaire et sommes en bonne santé. À cela s’ajoute: une famille aimante, un cercle social bien développé ainsi qu’un chien souriant. Mieux encore, un chat obéissant (pfff, genre ça existe) !
Bref, il ne manquait plus que l’amour et voilà qu’il arrive directement sous forme de mariage en plus ! Donc c’est bon là, on a tout, merci au revoir !
Bon, t’as fini de t’énerver !
Je suis très calme, mais une fois notre liste de basiques de la vie remplie, que se passe-t-il vraiment ? Allons-nous enfin vivre ce bonheur qu’il était impossible d’atteindre avant d’avoir comblé tous nos désirs ?
Outre la suite logique qu’est d’avoir des enfants, il est marrant de voir ce point commun chez la majeure partie de l’humanité de vouloir être tranquille, d’être rassuré, de bien rentrer dans les normes.
Mais au fond est-ce ce à quoi nous aspirons vraiment pour être heureux ? Nos envies ne sont-elles pas dictées par ce que les autres veulent pour nous ?
Tu poses beaucoup de questions, mais ça t’arrive d’y répondre ?
Aah, je savais que vous attendiez impatiemment mon analyse de la chose ! Nous avons tous cette tendance à vouloir obtenir ce qu’il nous manque, mais pourquoi à tout prix chercher à faire en sorte qu’il n’y en ait plus du tout ?
Les technologies actuelles qui nous permettent d’être connectés H 24 vont dans ce sens en tuant tout mystère. Prenons l’exemple de l’amour (aaah l’amour): qui y a-t-il de plus excitant de retrouver son/sa petit(e) ami(e) après quelques jours de séparation ?
On se demande ce que l’autre fait, on ressent un manque physique, certes, mais ce je ne sais quoi nous anime. Nous avons ce besoin qui ne serait pas aussi palpable qu’avec la personne en permanence à disposition.
Même constat en séduction : vous êtes en soirée et passez un bon moment en charmante compagnie avec une personne que vous n’aviez jamais rencontrée auparavant. Ensuite, elle s’éclipse. Vous n’avez pas de nouvelles dans l’immédiat et c’est à ce moment précis que vous ressentez un manque. Bien sûr que vous souhaitez le combler, mais tout cela aurait-il été aussi excitant sans avoir créé ce manque ?
Prenons un autre exemple qui vous est déjà sûrement déjà arrivé, messieurs. Pendant des semaines voire des mois vous avez souhaité séduire une femme que vous côtoyez quotidiennement. Vous avez beau super bien vous entendre, la faire rire, mais vous ne concluez pas !
Le souci, c’est qu’elle en pince pour ce type, rencontré en soirée, qui l’intrigue. Bien que tout le temps avec elle, vous vous montrez trop disponible. Vous tuez donc tout le mystère que cet autre homme, pas nécessairement plus charmant que vous, sait entretenir.
Inutile d’expliquer que ce n’est pas vers vous que ces pulsions la guideront.
La surestimation du manque
Le manque crée le désir, mais il est étonnant de voir à quel point il est craint et que l’humain le supporte mal. Le problème est qu’une fois assouvi, le désir disparaît petit à petit. Ceci s’applique à tous les domaines de la vie.
Nous pouvons manquer de tout, que cela soit au niveau personnel, affectif, professionnel ou encore financier. Seulement, est-ce aussi primordial que nous l’imaginons ? Je ne dis pas que d’être marié, avoir des enfants, un bon boulot, etc n’apporte pas de bonheur. Toutefois, est-ce que le résultat final mérite d’autant redouter le manque de ne pas avoir toutes ces choses ?
Je crois que nous surestimons l’impact et les enjeux de ces basiques dictés par l’inconscient collectif, émanant souvent du proche entourage. L’humain a selon moi souvent cette tendance à croire que tout ira pour le mieux en disposant de certains biens. À l’inverse, il sera tenté de dramatiser la situation s’il ne les possède pas.
Vouloir combler ces manques n’a bien sûr rien de négatif en soi. Au contraire, cela dénote une envie d’atteindre des objectifs, voire de réaliser ses rêves. Le souci se situe plutôt après cela. Pendant combien de temps la réalisation de l’objectif vous procurera de la joie ? Faut-il s’arrêter après cela pour être tranquille ?
L’importance de ne pas tuer tout manque
Cette notion de tranquillité est propre à chacun, mais me pose toujours question d’un point de vue émotionnel. Imaginez si je vous prouvais que demain vous seriez l’heureux gagnant de l’Euromillions. Nombreux parmi vous sauteront de joie au plafond, feront péter le champagne et s’exclameront en affirmant « je suis tranquille maintenant, plus besoin de travailler ».
Cet ascenseur émotionnel vous procurera une joie intense, car vous pourrez vous offrir tout ce dont vous avez toujours rêvé. Cependant, celle-ci va s’estomper avec le temps et il se peut que vous n’ayez plus aucun manque. Pas celui de l’argent en tout cas !
Viendra alors une vie dénuée de vraies aspirations ou certes, vous pourrez tout (ou presque) vous acheter. Mais vu le peu d’efforts consentis, le peu d’attentes pour combler votre désir, vous n’aurez plus ce sentiment de fierté ou de manque.
L’impact émotionnel n’en sera que réduit. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que de nombreux gagnants de loto ayant amassé des sommes astronomiques soient tombés en dépression. Certains mêmes, ont tout perdu, mais cela mériterait certainement un article à lui tout seul.
Je ne suis pas en train de vous raconter qu’il est impossible d’être heureux en gagnant à l’Euromillions. Seulement, si votre unique objectif de vie est d’avoir de l’argent, je me demande ce qui pourra encore vous faire rêver derrière.
Les grands champions en exemple
Pour illustrer mes propos, je voudrais prendre une de mes passions qu’est le tennis. Bien que toujours discutables, les 2 meilleurs joueurs sont Federer et Nadal. Ils ont tous les deux gagné tout ce qui était réalisable en matière de gros tournois. De surcroît, ils ont à tour de rôle été numéro un mondial.
Ces carrières hors normes ne sont non seulement possibles qu’à force de travail acharné, mais également grâce à une envie perpétuelle de progresser, de se renouveler.
Ils ont beau avoir réalisé leur rêve de gagner tous les tournois du grand chelem, d’être devenu numéro un mondial. Pour autant, ils ressentent toujours ce manque, une envie de faire mieux, de se perfectionner.
Le palmarès et le compte en banque à beau être plus que fourni, ils arrivent néanmoins sans cesse à se fixer de nouveaux objectifs. Ils retrouvent donc des vrais moments de fierté qu’une personne ne sachant pas se renouveler ne pourrait pas ressentir.
Ces objectifs ne sont cependant pas nécessairement liés à des prestations sportives. Elles peuvent être dues au fait de se fixer des nouveaux challenges de vie.
En résumé
Alors, combler le manque rend-il heureux ? Nous pouvons dire qu’il anime un désir. Lorsque ce dernier est atteint, nous ressentons bien sûr un sentiment de bonheur, voire de fierté. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, ce sentiment s’estompe si nous ne le remplaçons pas par d’autres manques.
Aussi, au plus vite on le comblera, au moins l’émotion ressentie sera forte. Ce manque a tellement de bienfaits, mais notre société de l’immédiateté de résultats tend à lui barrer la route sèchement.
Ne manquer de rien permet d’ôter nos doutes. Or, une personne qui ne ressent jamais ce sentiment s’est à mon sens, totalement coupée de ses émotions. Pire, elle semble s’être déshumanisée tel un robot.
Et vous, avez-vous cette tendance à impérativement combler le manque ? |