N’avez-vous jamais remarqué ce détail chez de nombreux travailleurs ? Ils se présentent souvent sous leur corps de métier. Nous entendons donc les : je suis avocat, médecin, gendarme, comptable, etc. Mais comment se fait-il qu’ils aient toujours ce réflexe ? Pourquoi se cantonner à cela et que doivent répondre les chômeurs ou les allocataires sociaux ? Ne serait-ce pas un peu réducteur, et même discriminatoire de lier ce que nous sommes à un métier ?
Bref, tant de questions auxquels je vais tenter d’apporter une réflexion à défaut de pouvoir apporter des affirmations claires.
Le statut pour s’affirmer
C’est un fait, nous sommes souvent respectés de par notre statut. Un haut responsable d’entreprise suscitera inconsciemment plus d’admiration qu’un caissier, qui lui-même sera mieux vu qu’une personne sans emploi. En fait, ces 3 types de profils différents ne nous apportent pas vraiment d’éléments décrivant leur personnalité. Pas grave, vous vous êtes tous déjà fait une image mentale de ces 3 protagonistes dont vous ne connaissez rien d’autre que leur activité professionnelle.
Avouez que le haut responsable a l’air d’avoir une vie bien plus sexy que les deux autres. Je ne prétends pas que c’est le cas, mais il est possible qu’il ait un parcours professionnel plus enrichissant et qu’il a dû gravir les échelons pour atteindre son but. Je n’ai rien contre les caissiers (et caissières), mais cela m’étonnerait que ceux-ci exercent leur travail de rêve.
De nombreux métiers ne sont pas très sexy ! Prenons l’exemple d’un jeune éboueur. Il ne va probablement pas susciter l’admiration de ces interlocuteurs à travers son métier. Cela ne veut pas pour autant dire qu’il compte faire ça toute sa vie. Il ne se contentera donc pas de prétendre « je suis éboueur » pour décrire ses envies, ses ambitions pour le futur. Il peut très bien temporairement exercer ce métier afin de financer ses études ou dans l’optique de mettre en place un projet professionnel qui lui tient à coeur.
Combien de stars n’ont pas accumulé des petits boulots avec leur projet bien en tête avant de devenir célèbres ? Le haut responsable d’entreprise, lui, n’aura pas besoin de cela pour forger le respect et éveiller l’intérêt d’autrui.
Le renforcement du statut
N’êtes-vous jamais arrivé à un diner, une soirée ou quelconque évènement où l’on vous pose comme première question (après vous être présenté par votre nom) « tu fais quoi dans la vie » ? Techniquement, vous pourriez répondre, je voyage, je mange, je chante, je fais du sport, je lis, j’écris (un blog). Bref, un tas de réponses s’offrent à vous.
Ok, soyons clair, cette question s’apparente à, « c’est quoi ton métier » ? Il n’y a généralement pas de mauvaises intentions derrière cette phrase, car elle fait tout simplement office d’ouverture de conversation. Un peu à l’image d’un « ça va », avec vos connaissances. Ceci dit, elle donne d’emblée une direction précise à la discussion que vous allez mener avec votre interlocuteur. Durant les premiers échanges, vous allez vous présenter sous votre corps de métier.
Si je reprends mon exemple précédent, le chef d’entreprise partira avec de meilleures chances de susciter l’intérêt de son interlocuteur. L’éboueur ne verra pas la personne en face d’elle lui dire : « Chouette, comment t’as fait pour réussir à être éboueur » ? ou « Tu ramasses combien de poubelles par jour » ?
Sans vouloir dénigrer le statut d’éboueur, vous voyez où je veux en venir. D’ailleurs, cela ne veut pas dire que la conversation n’évoluera pas. Or, à moins d’être en présence d’un autre éboueur, vous ne risquez pas de vous éterniser sur le sujet. Tant mieux d’ailleurs ! Si vous parvenez à captiver votre interlocuteur par d’autres sujets que votre métier, la conversation sera bien plus riche. Vous aurez l’occasion de dévoiler la personne que vous êtes. Pas le statut, peu sexy, que vous représentez au sein de la société.
Malheureusement, tout comme pour l’impression physique (qui reste la toute première), vous tomberez sur certaines personnes qui vous jugeront à travers votre métier sans même chercher à découvrir votre potentiel et autres qualités.
Le questionnement des (beaux) parents
Le statut (social) est encore aujourd’hui au 21e siècle une préoccupation majeure pour les parents. Être célibataire et sans-emploi ne font (justement) pas bon emploi face aux personnes mariées et salariés (CDI de préférence).
Cet aspect sécuritaire se retrouve à différents degrés dans tous types de familles et de cultures. C’est presque universel. Alors que les parents veulent toujours (ou presque) que leurs enfants soient avant tout heureux et épanouis, ils ne peuvent inconsciemment s’empêcher de l’associer aux 2 piliers que sont l’emploi et la relation amoureuse stable.
Il s’opère aujourd’hui une redirection des priorités pour de nombreux jeunes adultes. Le célibat, bien qu’encore mal perçu, tend à se banaliser, par choix. La vie professionnelle prend une place encore plus prépondérante, mais n’est plus associée à un modèle unique. Je m’explique : là où la plupart des individus cherchaient avant tout de la stabilité, peu importe l’intérêt qu’ils portaient à leur emploi, il se dessine un autre courant aujourd’hui.
De nombreux individus souhaitent accumuler les expériences, voyager, bosser dans différents domaines, mais surtout, donner un sens à leur vie. Une vie qui semble plus en marge avec notre époque. C’est ainsi que l’entrepreneuriat, malgré tous les obstacles (statut précaire, motivation, concurrence) qu’il présente, a le vent en poupe. D’innombrables salariés n’acceptent plus d’effectuer à longueur de journée des tâches abrutissantes ou des tâches qui ne font aucun sens pour elles.
L’entrepreneuriat développe notre créativité souvent enfouie et nous recentre vers nos passions que nous rêvons de lier à notre métier, un peu à l’image des sportifs ou artistes professionnels. Avec l’avènement d’internet et plus globalement des nouvelles technologies, de nouveaux métiers se créent tandis que d’autres tendent à disparaître. Cette mouvance accélérée du marché du travail échappe tout naturellement aux générations précédentes.
Que vous soyez Youtubeur professionnel, coach de vie ou encore Community Manager, cela ressemble à du chinois pour vos parents (même parfois pour vos amis), car historiquement, ils ne peuvent pas l’associer à un métier reconnu. Malgré les difficultés que cela engendre, vous pouvez toujours tenter de leur expliquer en quoi cela consiste et les rassurer en leur partageant le bonheur que cela vous procure.
La tâche s’annonce nettement plus complexe par contre lorsque vous êtes présenté à vos beaux-parents. Avant de voir la personne que vous êtes, ils voudront s’assurer que vous avez « une bonne situation ». Là encore, j’ai le sentiment que c’est un réflexe (quasi) universel. Le chômeur ultra ambitieux que vous êtes aura du mal à convaincre tant que vous en serez à ce stade. Le fait de combler autrement leur progéniture, d’être un conjoint attentionné, etc, passera, bien malheureusement, au second plan.
Tout comme les parents se représentent leur enfant imaginaire avant la naissance de ce dernier, ils s’imaginent le futur conjoint d’une certaine façon. Or, il y a toujours un contraste entre l’imaginaire et la réalité, entre ce que l’on désire pour son enfant et ce que son enfant veut réellement. Vous ne vous êtes jamais posé la question de savoir pourquoi autant de personnes ne s’entendent pas avec leur belle-mère (ou beau-père) ?
Le statut occultant la personnalité de l’individu
Le statut a le pouvoir de faire office de pare-feu qui cache nos faiblesses. Nous avons tous déjà eu à un moment recours au biais cognitifs. Des formes de pensées rationnelles qui ont tendance à être systématiquement utilisées dans diverses situations. Je vais vous donner un exemple. Si une personne vous voit bourrée et qu’elle apprend de facto que vous êtes au chômage, elle risque d’y voir une corrélation d’illusion. En gros, si vous vous bourrez la gueule, c’est parce que vous êtes chômeur.
C’est une erreur de jugement, car il n’y a pas de lien de cause à effet. On serait à même de citer des dizaines d’exemples, mais là ou je veux en venir, c’est que les personnes jouissant d’un « plus haut statut » dans la société, s’exposent moins à ce genre de jugement. Dans le cas des faits divers, il ne vous a pas échappé que lorsqu’une personne commet un meurtre, les voisins interrogés ont souvent l’air ébahis. Ils déclarent que c’était une personne aimable, qui travaillait, avait des enfants, etc.
Pas sûr qu’elles auraient été aussi tolérantes si leur voisin était un vieux célibataire alcoolique. À nouveau, il n’y a pas de corrélation. Certes, le statut nous donne quelques informations sur une personne, mais ne décrit nullement qui elle est ni quelles sont ses valeurs et aspirations. Ces raccourcis cognitifs tendent à desservir la catégorie d’individus jouissant d’un statut moindre. Toutefois, ils n’avantagent pas davantage les plus respectés.
En effet, le danger serait de se présenter uniquement sous cette forme de statut professionnel. On ferait abstraction de toutes les facettes de notre personnalité. Pour être plus précis : qui se cache derrière ce chef d’entreprise ? Quel est son parcours ? Que ferait-il si son entreprise venait à s’effondrer ? Cette dernière question peut paraître anodine. Pourtant, la chute d’un empire a déjà mené au suicide les fondateurs qui l’ont construit et mis toute leur énergie dedans.
Prenons un exemple plus « soft » : combien d’artistes ne sont pas tombés en dépression, car ils sont passés de la gloire au quasi-anonymat. Un acteur qui a connu le succès et qui n’est plus appelé du jour au lendemain n’est pas pour autant devenu un mauvais acteur. Des nouvelles modes, une concurrence plus féroce ou encore un manque de chance sont susceptibles d’expliquer cela.
Ce que nous faisons ne doit pas décrire la personne que nous sommes. Il est cependant très complexe de dissocier les deux. D’autant plus, si nous avons placé toute notre énergie dans notre activité et vécu à travers notre statut.